LE JOURNAL D'UN DISPARU

CORRESPONDANCE(S)  

Musiques de Léos Janacek ( Le Journal d'un disparu ) et André Serre-Milan ( Correspondance(s), Commande de la Péniche Opéra )

Texte original de la création: Hélène Codjo

Distribution de la création :

Jean-louis Roblin, chef de chant et piano

Christophe Crapez, Eva Gruber, Anne-sophie Tanguy, Anne Marchand et Perrine Hanrot, voix

Collaborations artistiques:

Carole Fierz , gestuelle

Marc Pracca , lumière

Christine Lamblin , styliste

Conducteur, matériel et bande : C.R.E.A. édition

C.R.E.A._association (Création, Recherche, Expérimentation Artistiques)
16, Passage de la Main d'Or – 75011 Paris
crea-association@wanadoo.fr - www.crea-association.org

 

Mettre en relation deux oeuvres aux extrémités d'un siècle

...

Réfléchir aux relations qui s'imposent et celles qui restent en suspens

...

Ouvrir la représentation musicale à sa dimension dramatique sans pour autant déflorer l'incarnation des personnages

...

 

Notes de vie(s) mises en musique.

Cher André,

suite aux derniers concerts, j'ai ouvert les pages du “Journal d'un disparu”. Sa présentation offre une liberté d'interprétation, sa structure relève de la musique théâtralisée et ses personnages de l'opéra. Son thème est d'actualité ... Pourrait-on se poser ensemble la question de la forme, de l'interprétation et de l'altérité? Christophe

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Cher Christophe,

La partition de Janacek est d'une grande liberté, fruit d'une indépendance acquise au long de ses compositions. Son expérience dramatique de l'opéra en font un livret potentiel qui frôle la mise en scène sans jamais l'aborder. Un jeu sur le temps structure l'oeuvre: le personnage principal est rencontré dans son abîme présent, ses sens mis en émoi par une Tsigane. Son coup de foudre pour Zeffka, l'attente de leur nouvelle rencontre, puis leur passion d'une nuit le propulse dans un futur conditionnel qu'il retranscrit à l'image de son trouble, éclair qui le pousse à prendre une décision radicale pour sa vie entière.

Je souhaite lui répondre avec la distance créée par le temps, en miroir de sa structure, homme qui part de son présent et se retourne sur son passé jusqu'à revivre cet instant de décision, plongé dans ses sens mis en abîme.

Le regard vient d'ailleurs, du choeur des passants d'une vie, de la femme qui l'a aimé, qu'il a aimée. Il n'est là physiquement qu'au moment crucial de son choix, et raccorde les instants de son parcours en introduisant l'intervention de l'autre, en le faisant parler: le “choeur” est présent, commente une femme qui se raconte elle-même et à travers son amant. André

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Tout quitter pour suivre la femme qu'on aime… Et après, qu'advient-il ? Entre passé et avenir, racines et devenir, quelle est la vision de l'homme, lorsque son fils a grandi et qu'il repense à ces instants qui ont fait basculer sa vie, quels sont les rêves de ce fils qui n'a jamais connu le passé (famille, lieux d'enfances) de son père, et qu'est devenue cette femme, ayant introduit un étranger dans la communauté, quelle est la place du choix, quelle est la place du destin? Hélène Codjo

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Correspondance(s) est dédiée à Christophe Crapez


Leos JANACEK

(1854, 1928) compositeur tchèque

Après une solide formation musicale à l'école d'orgue de Prague et quelques années passées à Brno comme professeur de musique et chef de choeur, il se perfectionne au conservatoire de St Petersbourg (1878), à Leipzig et Vienne (1879/80). C'est là qu'il écrivit ses premières oeuvres.

De 1881 à 1919, il fut directeur de l'école d'orgue de Brno.Dés cette époque, on trouve le témoignage de son intérèt pour le coté mélodique du langage parlé dans son premier opéra SARKA (1887/88). Puis il s'occupa intensement de l'étude et de la notation des chants populaires, influence de laquelle nombre d'oeuvres.

Vers 1900, il se passionne pour la litterature russe et polonaise. Fortement conscient des questions sociales, il fut entrainé bientot dans le camp des adversaires de la monarchie.

Après la naissance de la République Tchécoslovaque en 1918, il se consacra intensement à la composition. Au cours des dix dernières années de sa vie naquirent une série de chefs-d'oeuvre : les 4 opéras Kata Kabanova, Le Rusé Petit Renard, l'Affaire Makropoulos, La maison des morts, une sonate pour violon et piano, 2 quatuors à cordes, la messe Glagolithique ...

La vitalité du septuagénaire et le modernisme de sa musique en firent le représentant de la “jeune” musique tchèque. Toute sa vie, Janacek exerça également le métier d'écrivain.

La grandeur et le coté unique de l'art de Janacek ne peuvent être saisis dans leur totalité que si l'on a la possibilité d'entendre ses oeuvres dans leur langue originale. Cependant, pour celui qui l'ignore, sa musique contient de multiples idées neuves dans les domaines de la mélodie, de l'harmonie, du rythme et de l'instrumentation, à tel point que ce maitre peut être compté à bon droit parmi les représentants les plus importants de la musique du XXème siècle.

LE JOURNAL D'UN DISPARU a été écrit de 1917 à 1919, sur des poèmes parus anonymement dans le journal “Lidové Noviny”, auquel il collaborait régulièrement par l'écriture d'articles. Ces poèmes sont écrits en Wallachian ( la Wallachie est une partie de la Moravie située au Nord-Est), dialecte qui ne lui était pas inconnu par sa région d'origine (Lachia, sur la frontière de la Moravie et de la Silésie ) et l'ont passionné par leur concision et leur intensité dramatique.

Cette partition, à la frontière d'une représentation théâtralisée, contient des indications de représentation scénique (exemple: dans une quasi-obscurité pour les deux premières pièces) et les enchaînements des mélodies sont précisés ( Attaca ou après un long silence )


CORRESPONDANCE(S) 

VOIX 1/2/3/4/ tenor (hors scène)

loin

si loin

avant tout souvenir

loin

si loin

avant tout souvenir

 

loin

si loin

avant tout souvenir

 

loin

si loin

avant tout souvenir

 

loin

si loin

avant tout souvenir

 

Tenor solo (hors scène)

je suis le fils - de retour pour connaître son père

je suis de retour - le fils pour connaître son père

VOIX 1/3/4 (hors scène)

loin

si loin

avant tout souvenir

 

loin

si loin

avant tout souvenir

loin

si loin

avant tout souvenir

 

 

 

 

VOIX 2, en se déplaçant vers la scène

loin

si loin que je l'ai à peine connu

parti une nuit un matin

VOIX 2 sur scène

a-t-il vraiment vécu

ou est-il une histoire qu'on raconte le soir

je suis sa sœur et je ne m'en souviens plus

VOIX 2 rejoint le piano

VOIX 3, en se déplaçant vers la scène

loin

si loin que je n'ai pu courir

un fils parti vers son fils qui un jour partira loin de lui

VOIX 3 sur scène

stabat mater dolorosa dum pendebat filius…

VOIX 1/2/4

stabat mater dolorosa

dum pendebat filius…

stabat mater dolorosa

dum pendebat filius…

stabat mater dolorosa

dum pendebat filius…

VOIX 3 sur scène

stabat mater dolorosa dum pendebat filius…

je suis sa mère et je n'ai plus de fils

loin

si loin que je n'ai pu courir

il a fui les racines enfantines

et toujours les femmes restent

enracinées dans la terre, enracinées dans la vie

VOIX 3 rejoint le piano

VOIX 1, en se déplaçant vers la scène

loin

si loin que je n'ai pu partir

j'avais peur de le suivre

et de perdre mes pas dans son sillage

j'avais peur de son regard de mystère

et des sons de l'au-delà des collines

VOIX 2/3/4

loin ... si loin

loin ... si loin

loin ... si loin

VOIX 1 sur scène

loin

si loin que je n'ai pu revenir

de ma douleur de son abandon

je suis la fiancée l'éternelle Ophélie

celle que la malchance plonge dans les eaux alanguies

VOIX 1 rejoint le piano

VOIX 4, en se déplaçant vers la scène

je suis une femme qui court sur le vent

je ne sais pas où je suis née

et j'emporte mes racines avec moi

comme un lopin de sable

je ne suis pas où je suis née

VOIX 1/2/3

tu es la victorieuse

tu es la victorieuse

tu es la victorieuse

VOIX 4 sur scène

je ne sais pas qui je suis

je n'en ai pas besoin et je poursuis la vie

VOIX 1/2/3

la vie

elle court sur le vent

la vie

emporte ses racines

la vie

elle est victorieuse

VOIX 4 sur scène

loin

si loin que je ne peux connaître

loin

si loin que la terre ne me colle pas aux pieds

VOIX 4 sur scène et tenor (hors scène)

loin

si loin que la terre ne me colle pas aux pieds

 

je suis une femme

qui court sur le vent

je poursuis la vie

 

 

 

VOIX 4 rejoint le miroir 6

la vie ... le vent

je suis ... si loin ... loin

loin

si loin que la terre ne me collait plus aux pieds

 

elle était belle

et si étrange

elle portait tout l'espoir de la vie

 

loin

si loin que la terre ne me collait plus aux pieds

 

elle était belle et si étrange

étrange et belle

belle

 

mais elle-même est partie

me laissant notre fils

loin

si loin que je n'ai pu revenir

 

je me suis enfui vers l'autre vie

VOIX 1/2/3

la vie

tu es la victorieuse

la vie

tu es la victorieuse

la vie

tu es la victorieuse

Tenor, en se déplaçant vers la scène

je suis le fils - de retour pour connaître son père

je suis de retour - le fils pour connaître son père

VOIX 1/2/3

la vie ... souvenir ... loin ... la vie

belle et si étrange ... l'espoir de la vie

belle et si étrange .... si loin

la vie ... souvenir ... loin ... la vie

belle et si étrange ... l'espoir de la vie

belle et si étrange .... si loin

la vie ... souvenir ... loin ... la vie

belle et si étrange ... l'espoir de la vie

belle et si étrange .... si loin

Tenor

je me suis enfui de la vie itinérante

de la liberté au jour le jour

du peuple [qui se croit] maudit

de la cueillette de la vie

la fuite, privilège du désespoir

qui ne se sent bien nulle part

Le Tenor “déclenche” les cellules des voix 1 à 4 à son passage,

puis revient au centre de la scène pour finir seul

je suis là

avant tout présent à moi-même

je suis là

si loin

avant tout souvenir

je suis là pour vivre

Hélène Codjo